Huyana Potosi

Publié le par L&J

La Paz, capitale bolivienne située à 4 000m d’altitude, offre de nombreuses excursions dans les alentours. Parmi elles, un sommet sur lequel je lorgne depuis longtemps. Je n’ai pas organisé grand-chose avant ce voyage… AÏE ! Ok je corrige arrête de me frapper : Je n’ai rien organisé de ce voyage, mais j’avais repéré un sommet, « un des 6 000m les plus accessibles au monde ». Je comprendrai plus tard que le mot accessible signifie « pas loin d’une ville » et non pas « facile à grimper ». Faute grave.

Le Huayna Potosi (« jeune colline ») culmine à 6 088m. Belle bête. L’ascension se fait en cordée de trois : un guide et deux connards qui se croyaient forts. En l’occurrence Hilario, guide depuis plus de 10 ans, Benjamin, prof de sport qui a aimé l’idée, et moi qui bois des bières depuis un mois et demi car « c’est pas cher ». Faute grave numéro 2.

 

Huyana Potosi

L’ascension se déroule en deux parties : la montée au camp de base et l’ascension finale.

La montée au camp de base dure environ 2h sur des rochers, les pieds au sec. On est chargés comme des mules car on monte notre équipement du lendemain : Bottes de neiges, crampons, guêtres, sur-pantalons, polaire, veste, gants, piolet, casque, cagoule, lampe frontale, eau… On apprendra plus tard qu’il manquait le baudrier, mais Hilario nous arrange ça et en trouve deux au campo alto. Sauvés.

C’est déjà un peu sportif mais nous sommes motivés et tout se passe bien. Génial. On arrive au camp d’altitude situé à 5 130m vers 14h. Petite collation, petite sieste, on « dîne » vers 17h30 et on se couche vers 19h. Le refuge est spartiate mais les lits sont corrects. Cela donne un petit coté aventure, c’est cool. Enfin jusqu’à ce que vous vous rendiez compte que dormir à 5 130m n’est pas aussi simple que ça. Il fait très froid, il est trop tôt pour dormir, l’oxygène est rare et l’altitude vous file un petit mal de crâne pour vous faire comprendre que vous n’avez rien à faire ici.

Finalement on passe une « nuit » correcte et lorsqu’on vient nous réveiller à 00h20, j’avais oublié dans quelle merde je me trouvais. Ceux qui sortent pour aller aux toilettes rapportent la mauvaise nouvelle : il neige, il vente et nous sommes au milieu des nuages. Qu’est-ce que je fous là ? Nous sommes 6 dans le refuge. Chacun s’équipe en silence, en buvant du maté de coca ou du café. La tension est palpable, l’heure de vérité approche. Deux ou trois blagues pour détendre l’ambiance. Les japonais enfilent leurs Tee-shirts « Huayna Potosi 6 088m ! ». Ne jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir escaladé… Ils abandonneront avant la fin. Trop dur.

Huyana Potosi

Une fois équipés, tout le monde dehors. Là, bonne surprise : la neige a cessé et le balai des lampes frontales sur la neige est beau à voir. Super. Il est 1h45. C’est plus tard que prévu et il ne va pas falloir traîner pour atteindre le sommet avant le lever du soleil. On part en deuxièmes, derrière un allemand qui ne fait que des treks et qui semble plutôt affuté. Bien que le rythme soit lent, l’effort est intense et j’ai vite chaud. A la première pause, j’enlève ma cagoule. Faute grave numéro 3. En effet, le vent se lève et il se remet à neiger. J’ai le corps qui bout et le visage gelé. Les orteils suivront bientôt. Pourquoi suis-je ici ? C’est horrible. Nous semblons tenir un bon rythme car on chemine aux côtés de l’allemand et son guide. Les groupes de derrière sont distancés et l’on ne voit déjà plus les lumières de leurs frontales. Facile. Nous sommes plus forts et ça va le faire. Nous tenons le rythme et continuons d’avaler le dénivelé.

5 500m. Le ventre commence à souffrir de l’altitude. L’homme n’est pas fait pour aller si haut si vite. Au secours. Si l’un de la cordée abandonne, l’autre doit rebrousser chemin également, alors on continue. Benjamin semble plus en forme que moi car je suis le troisième de la cordée et je peux observer son pas. Ça va être dur. Cela doit faire 2h que l’on marche. Difficile à dire. Le vent, les nuages et la neige tourbillonnent, apparaissent et disparaissent au fur et à mesure de l’ascension et des différents versants empruntés. Soudain une éclaircie. Au loin les lumières de La Paz transparaissent sous une couche de nuages qui surplombe la ville. Vision magnifique. Ça vaut le coup finalement. On va aller au bout. Il faut aller au bout. L’obstacle principal se présente alors : un mur de neige d’une dizaine de mètres qu’il faut escalader. Les mollets brûlent, les bras et les poumons aussi. Si le piolet ou les crampons lâchent, il y a des chances que l’on entraîne les 2 autres dans notre chute. J’arrive en haut à bout de souffle, l’acide lactique brûle mes membres, mon cœur bat fort comme jamais. Cinq mètres de plus et je ne passais pas.

5 700m. Courte pause bien méritée. Difficile de boire ou manger. L’altitude et l’effort réduisent considérablement l’appétit. Pourtant il faut engranger des forces. Twix et Coca pour le plein de sucres. Mais le corps en plein effort a autre chose à faire que de digérer et le fait bien comprendre. C’est de plus en plus dur.

5 800m. Le pas de Benjamin se fait moins assuré, il lui arrive de glisser dans la neige et je le vois plus souvent reprendre son souffle arcbouté sur son piolet. Je ne suis pas si mal que ça finalement. Regain de moral… de courte durée. Mon ventre se tord alors que nous sommes sur une pente vertigineuse, en plein vent, la neige fouettant mon visage. Pas d’échappatoire, pas de bouton pause, pas de demi-tour possible. L’enfer est fait de glace et non de feu. Etant plus haut que 95% des êtres humains, les dieux entendent ma prière et mon ventre me laisse tranquille. On se raccroche à ce que l’on peut. Au dessus de nous, la voix lactée apparaît. Des milliers d’étoiles visibles comme jamais. Presque à portée de mains. C’est magique et magnifique. On va aller au bout. La devise du guide est « cumbre o muerte » (le sommet ou la mort). Il est à nous ce sommet, nous marchons depuis trop longtemps, nous avons déjà fait trop d’efforts, enduré trop de maux de tête et de ventre pour abandonner.

5 900m. Maudite cumbre. Maudite montagne. Maudite neige qui se fait de plus en plus épaisse. La « jeune colline » ne doit pas avoir terminé sa croissance et le sommet semble s’éloigner au fur et à mesure que nous progressons. Il est pourtant là, à portée de piolet, mais nous n’avançons plus. Nous reprenons notre souffle tous les trois pas. Derrière nous, cela fait longtemps que nous ne voyons plus personne. Pourtant la nuit fait place au jour petit à petit. Le soleil ne va pas tarder. Il ne faut pas lâcher. Mon casque semble peser 10 kg, mon piolet 5, mes chaussures 20. Mes doigts et mes orteils sont gelés, mon corps transpire à grosses gouttes à cause de l’effort extrême. Maudite cumbre, arrête de reculer. Il ne reste plus qu’une cinquantaine de mètres. L’allemand et son guide atteignent le sommet. La lumière du jour pointe à l’horizon. Il faut donner tout ce qu’il nous reste, mais il ne reste quasi rien. Le cerveau n’est plus très lucide et je ne sais pas comment nous arrivons là, mais nous atteignons le sommet sous la lumière du soleil qui sort de son lit de nuages. Moment magique. Merveilleuse cumbre.

Huyana PotosiHuyana Potosi
Huyana Potosi

6 088m. Tant d’effort pour en arriver là. Tant de ressources mentales et physiques dans lesquelles il a fallu puiser. On s’enlace tous. L’émotion et la fierté sont palpables. Le spectacle des nuages en contrebas transpercés par le mont Illimani et la Cordillère Royale est fabuleux. Nous prenons quelques photos, reprenons notre souffle et profitons du paysage.

Huyana Potosi

Il faut maintenant redescendre, avant que le soleil ne rende instable le manteau neigeux. Nous croiserons de nombreux groupes qui ont encore un long chemin à parcourir. Lors des 3 heures de descente, on se rend compte de tout le chemin parcouru dans l’obscurité, de toutes les crevasses à côté desquelles nous sommes passés. Le mur que nous avons escaladé me paraît encore plus haut à la lumière du jour.

De retour au campo alto, nous remballons les affaires et buvons quelques gouttes d’eau. L’appétit ne réapparaîtra que bien plus tard, bien plus bas. Il faut rechausser les baskets pour rejoindre le camp de base, là où tout a commencé. Là où tout fini. Le minibus nous attend. Fin de l’aventure. Nous sommes si fiers, si heureux. L’ascension du Huyana Potosi est comparable à un accouchement. Les futures mères souffrent pendant des heures, elles n’ont jamais connu cela et veulent en finir le plus vite possible. Mais lorsque plus tard vous leur demanderez ce qu’elles retiennent de leur accouchement, elles vous répondront qu’il s’agissait là du plus beau jour de leur vie…

Huyana Potosi

Publié dans Bolivie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
ça fait plaisir de vivre ces moments à travers vos mots ! des bises les copains ! "J'aime ces moments là, on est là tous ensemble...."
Répondre
L
;)
F
Une merveille d'écriture et ces photos, tu m'as tenu en haleine et j'en ai le souffle coupé... Félicitations à toi qui t'es surpassé et à mère nature pour ce spectacle... Et c'est bel et bien vrai pour la fin...
Répondre
L
Merci ;)
P
Trop cool la narration niquel limite on est essouflé pour toi ! Je kif ferais vivre un tel cauchemar bravo mon Ju
Répondre
P
Bravo les garçons et merci pour cette narration... On a presque l'impression de vous avoir accompagné... les douleurs en moins. C'est très émouvant; ceci restera à jamais dans vos mémoires et votre corps oubliera.Et surtout cela restera pour toujours un lien entre vous. Merci pour les photos... et une pensée pour les filles qui ont dû souffrir d'inquiétude pendant que leurs héros étaient partis conquérir le monde! Bises à tous
Répondre
M
C'est magnifique ! La comparaison de la fin est splendide ! Je suis aussi fier de toi e te vois très bien la dans tout tes états ! Le résultat et la et comme toujours tu écris au top !!! Bisous on se donne des nouvelles
Répondre